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Réflexions sur la décroissance

Nous partageons ici cette réflexion intéressante comprenant quelques lectures de référence.

http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/448340/des-idees-en-revues-comment-faire-croitre-la-decroissance

Comment faire croître la décroissance?

Vue sur la ville de Shinjuku, à Tokyo

L’appel explicite à une « décroissance soutenable » a été lancé au début des années 2000, en Europe latine d’abord, contre l’idéologie du « développement durable » surtout, mais contre aussi le développement tout court.

Pour les « objecteurs de croissance », le « développement durable » ou aujourd’hui la « croissance verte » ne permettront que de «polluer moins pour polluer plus longtemps». Rappelant qu’une croissance économique infinie dans un monde fini n’est pas possible, ils ajoutent qu’elle n’est pas souhaitable. Cette croissance est pour eux en effet synonyme d’injustices entre humains et de soumission à une mégamachine technocapitaliste de plus en plus aliénante.

Pour la plupart d’entre eux cependant, la décroissance n’est plus une option. La question est de savoir si cette décroissance sera subie, conséquence brutale et incontrôlable du dépassement des limites biophysiques de la planète, ou si elle sera choisie et assumée collectivement, dans le but d’éviter aux humains, en particulier aux plus démunis d’entre eux, les effets désastreux d’un tel dépassement. Militer en faveur de la « décroissance soutenable », c’est croire qu’il est encore possible de mettre en oeuvre cette décroissance choisie.

Parmi les textes fondateurs de la décroissance, il faut mentionner le rapport sulfureux publié en 1972 par le Club de Rome sous le titre Halte à la croissance! L’équipe Meadows du Massachusetts Institute of Technology (MIT) affirmait que l’humanité était sur le point d’atteindre les limites de son exploitation des ressources naturelles. Seule solution pour éviter un effondrement au cours du XXIe siècle : l’arrêt de la croissance économique et de la croissance démographique.

Précurseurs

Un tel discours, remettant en question les fondements de la civilisation industrielle, ne pouvait que susciter le scepticisme, aussi bien à gauche qu’à droite. L’idée qu’il pourrait y avoir des limites biophysiques à la croissance économique n’est guère plus présente en effet dans la tradition socialiste que dans la tradition libérale. Il existe cependant des exceptions.

Du côté libéral, l’oeuvre de John Stuart Mill constitue certainement une référence essentielle. Comme tous les « économistes classiques », ce philosophe anglais considérait que la croissance économique ne pouvait durer. Mais à la différence de Malthus ou de Ricardo, Mill envisageait la possibilité d’un état stationnaire dans lequel la croissance économique cèderait le pas au développement intellectuel et à l’art de vivre. Cet état stationnaire se trouve au coeur des préoccupations de l’un des fondateurs de l’économie écologique : Herman Daly.

Formé par l’économiste hétérodoxe Nicholas Georgescu-Roegen, autre inspirateur essentiel de la décroissance, Daly a consacré une bonne partie de ses travaux à faire la critique des théories économiques dominantes, auxquelles il reproche de ne pas tenir compte des contraintes biophysiques qui pèsent sur toutes les activités de production. Mais contrairement à son maître Georgescu-Roegen pour qui la décroissance était la seule manière de sauver l’espèce humaine, il promeut une économie stationnaire, reposant sur des flux de matière et d’énergie n’excédant pas les capacités de régénération et d’absorption de la planète.

Du côté socialiste, on trouve également quelques précurseurs de la décroissance, qui eux aussi font figure de penseurs hétérodoxes au sein de leur tradition intellectuelle. Le premier d’entre eux est l’anglais William Morris. Pour Morris, ce n’est pas seulement la domination du capital sur le travail qui fait problème dans la société occidentale du XIXe siècle, mais c’est aussi l’industrialisation du monde elle-même. Une telle critique reste centrale aujourd’hui dans la mouvance décroissanciste. On la retrouve chez certains critiques de la technique, tels que Gunther Anders, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau ou Ivan Illich.

Critique du dévelopement

Mais elle est constitutive aussi d’un autre courant de pensée central au sein de la mouvance décroissanciste : la critique du développement. Outre Serge Latouche et Gilbert Rist, cette critique essentielle a été formulée en particulier par François Partant, Wolfgang Sachs et à nouveau Ivan Illich, à partir des années 1960. Elle consiste à dénoncer « l’aide au développement » lancée par Truman et ses alliés en 1949. Il s’agit de refuser d’un même geste un discours pseudogénéreux à l’égard d’une grande partie du monde qualifiée désormais de « sous-développée » et des pratiques effectives visant à entretenir ces mêmes pays dans un état de dépendance à l’égard du « monde développé ».

Parmi les inspirateurs socialistes de la décroissance, on trouve par ailleurs deux critiques importants du marxisme des années 1960 et 1970 : Cornelius Castoriadis et André Gorz. Les objecteurs de croissance doivent au premier deux idées capitales de leur mouvement : l’appel à une «décolonisation de notre imaginaire» et la valorisation de l’autonomie collective.

Au second, ils doivent d’avoir formulé de manière particulièrement rigoureuse et éclairante les trois critiques constitutives de l’idéologie de la décroissance. Dès 1975, Gorz dénonçait le caractère à la fois destructeur, injuste et aliénant de la quête de croissance caractéristique du capitalisme. Appelant à «rompre le lien entre plus et mieux», il faisait la promotion d’une abondance frugale, qui n’avait rien à voir, il faut le souligner, avec l’austérité capitaliste qu’on nous impose aujourd’hui au nom de l’équilibre budgétaire.

On peut affirmer aujourd’hui que la « décroissance soutenable » a cessé d’être ce slogan provocateur qu’elle avait tendance à être il y a encore dix ans. L’idée a fait son chemin — elle est même enseignée à HEC Montréal par l’un d’entre nous ! Cela dit, force est d’admettre qu’elle n’a pas suscité encore de véritable mouvement social. Bien souvent, elle reste une idée d’intellectuels à laquelle celles et ceux qui ne sont pas friands de réflexion théorique peinent à s’identifier.

Pourquoi ne parvient-elle pas à s’imposer comme la bannière rassembleuse qu’elle prétend pouvoir être ? À quelles conditions pourrait-elle jouer ce rôle ? Ou bien doit-elle se résoudre à n’être qu’un courant de pensée susceptible d’influencer les mouvements engagés dans la transformation de nos sociétés ? Telles sont quelques-unes des questions que soulève aujourd’hui cette idéologie.

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